Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de Cassation est venue trancher une problématique qui se pose souvent à l’employeur qui envisage d’engager une procédure de licenciement, notamment disciplinaire, à l’encontre d’un de ses salariés.

Ne serait-il pas préférable qu’en lieu et place de cette procédure envisagée, il propose à son salarié de rompre le contrat par une rupture conventionnelle ?

Au-delà, et pour le convaincre de l’opportunité d’accepter une telle rupture conventionnelle, peut-il mettre en avant, qu’à défaut d’acceptation de sa part, il mettra en œuvre une procédure de licenciement et que le salarié pourrait alors voir son contrat rompu sans préavis ni indemnité (cas du licenciement pour faute grave ou lourde) ?

Du côté du salarié, opter pour cette rupture conventionnelle peut lui éviter d’affronter la mise en œuvre douloureuse d’une procédure de licenciement, lui garantit au moins le versement d’une indemnité de rupture, et lui évite la mauvaise publicité que pourrait engendrer la connaissance par un futur employeur des modalités de cessation de son contrat précédent.

Du côté de l’employeur, cette alternative proposée au salarié a évidemment ses avantages. En effet, tout licenciement prononcé comporte le risque d’une contestation, et par conséquent celui de l’aléa judiciaire que ce licenciement soit finalement reconnu comme étant abusif.

La rupture conventionnelle est quant à elle difficilement contestable, et le pourcentage de contentieux inhérent à ce mode de rupture demeure d’ailleurs très faible. Une des seules possibilités de contestation des ruptures conventionnelles réside, en effet, dans la preuve que le consentement du salarié aurait été vicié, notamment au travers de manoeuvres dolosives ou d’une violence de la part de l’employeur.

Or, le « choix » laissé par l’employeur de conclure une rupture conventionnelle, en lieu et place d’une procédure de licenciement, ne constituerait-elle pas pour le salarié, une pression assimilable à une violence ayant vicié son consentement, et engendrant la nullité de la rupture conventionnelle ? C’est souvent ce risque qui a conduit certains employeurs à renoncer, notamment au stade de l’entretien préalable, à évoquer avec le salarié, cette alternative possible.

C’est donc à cette question que la Cour de Cassation répond par la négative dans son arrêt du 15 novembre 2023. Selon elle, la seule perspective d’un licenciement pour faute lourde envisagé par l’employeur, n’est pas constitutive d’une violence ayant conduit à vicier le consentement du salarié à la rupture conventionnelle.

Pour cela, la Cour de Cassation s’appuie sur deux arguments :

  • le premier, classique désormais, rappelle que l’existence d’un différend entre les parties n’affecte pas, par elle-même, la validité de la convention de rupture.
  • Le second s’appuie sur les garanties légales entourant la procédure de rupture conventionnelle.

En effet, après signature de la convention, le salarié et l’employeur ont chacun quinze jours pour se rétracter. Le salarié, n’ayant pas fait usage de cette possibilité de rétractation, qui aurait pu lui permettre de renoncer au choix qu’il avait opéré initialement, il ne pouvait plus se prévaloir d’un quelconque vice du consentement.

Faut-il donc conseiller désormais aux entreprises de proposer beaucoup plus souvent cette alternative, auquel cas, à quel stade de la procédure ?

Le premier conseil serait sans doute de rappeler que si une telle alternative proposée au salarié ne constitue pas en soi un risque d’annulation de la convention de rupture, les circonstances qui entourent cette alternative pourraient caractériser un tel vice. La Cour de Cassation a notamment considéré le vice caractérisé lorsque l’employeur avait également menacé le salarié de porter atteinte à son avenir professionnel (Cass. Soc. 23/05/2013 n° 12-13.865 FS-PBR)

Le second conseil serait de rappeler que si l’employeur peut tirer avantage de rompre conventionnellement le contrat de travail plutôt que d’engager une procédure de licenciement, il n’est pas à l’abri d’être pris au piège de cette alternative.

En effet, constatant des faits fautifs, l’employeur a un délai de deux mois pour les sanctionner, voire licencier le salarié. Il doit même agir beaucoup plus rapidement si les faits constatés sont qualifiés de faute grave.

Or, la mise en œuvre d’une rupture conventionnelle peut, au travers de la tenue d’un ou deux entretiens, et du respect nécessaire d’un délai de rétractation de 15 jours, lui faire perdre la possibilité de licencier, par l’effet de la prescription des faits fautifs. Il faut donc rester particulièrement vigilant quant au moment de proposer cette alternative de façon à ce que l’employeur conserve son pouvoir disciplinaire au-delà du terme du délai de rétractation de 15 jours.

 

Cass. Soc. 15-11-2023 n° 22-16.957