Le streaming constitue désormais la principale source de revenus de la musique enregistrée en France, représentant plus de 70 % du chiffre d’affaires du secteur. Conformément au modèle dit market-centric, les plateformes répartissent les recettes globales entre les ayants droit au
prorata du volume d’écoutes de chaque œuvre par rapport au total des écoutes effectuées sur la plateforme.

Cependant, ce modèle, fondé sur une logique de répartition proportionnelle, favorise certaines manipulations. En effet, certains acteurs peuvent être tentés de recourir à des procédés de fraude au streaming. Des écoutes artificielles sont ainsi générées, dans le but d’augmenter le
nombre de streams d’un titre afin d’améliorer sa visibilité et ses revenus. Ces pratiques, utilisant des outils techniques ou des serveurs dédiés, faussent la répartition des revenus et nuisent à une rémunération équitable des ayants droit. C’est dans ce contexte-là qu’est né le litige opposant le SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique) à l’hébergeur français OVH.

En l’espèce, le SNEP reprochait à OVH de fournir des services permettant, indirectement, la mise en œuvre des fraudes au streaming. En effet, OVH agissait en tant que fournisseur d’infrastructure pour son client, lui-même hébergeur de serveurs utilisés pour générer des écoutes artificielles. L’article 6-I-3 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit, pour les hébergeurs, l’obligation, lorsqu’ils en sont notifiés, d’agir promptement afin de retirer ou rendre l’accès impossible à des contenus manifestement illicites.

Cependant, lorsqu’OVH a été notifié du caractère illicite des sites et qu’il lui a été demandé d’en couper l’accès, ce dernier a opposé au SNEP son rôle secondaire. En effet, OVH soutenait qu’en sa simple qualité de fournisseur d’infrastructure technique, il n’était pas soumis aux
obligations de retrait ou de blocage, le régime de responsabilité des hébergeurs ne lui étant pas applicable, faute de lien direct entre lui et les sites litigieux. Il a également ajouté que le soumettre à de telles obligations emporterait un risque de dérive de surveillance généralisé, prohibé par la loi de confiance dans l’économie numérique et la directive européenne sur le commerce électronique.

C’est dans un jugement du 2 octobre 2025 que le tribunal judiciaire de Paris a statué en faveur du SNEP. Les juges ont reconnu, de manière empirique, faute de base légale à ce sujet, une distinction entre la qualité de fournisseur d’infrastructure et celle d’hébergeur d’OVH, qualifiant ainsi ce dernier d’hébergeur indirect. Jamais auparavant, les juges n’avaient retenu une telle qualification dans le cadre de la responsabilité des intermédiaires techniques numériques. Selon la décision des juges, la qualification d’hébergeur indirect s’applique lorsqu’un prestataire n’héberge pas directement le contenu litigieux, mais qu’il fournit les moyens techniques à un tiers qui en assure le stockage et la diffusion. Ainsi, les juges ont retenu que la responsabilité était liée à la connaissance du contenu illicite, et ce, même pour
un hébergeur indirect, tout en proportionnant cette responsabilité au rôle technique et aux capacités d’action de ce dernier. De ce fait, les juges ont su adapter le régime de responsabilité limitée des hébergeurs à une situation complexe impliquant des acteurs techniques multiples.

Salomé Redon
Étudiante, Master 2 Propriété intellectuelle, Toulouse
Sous la supervision de Maître Olivier Redon