De nombreux textes ont été promulgués récemment concernant les Tribunaux de commerce, qui, sous couvert de réformes et de simplification, ne font que confirmer la volonté de l’Exécutif, en raison de réflexions purement budgétaires, de se désengager progressivement de la justice civile pour en transmettre la charge aux Juges consulaires.
1. La création des Tribunaux des affaires économiques (TAE) aux fins de remplacer à terme les tribunaux de commerce.
A / Rappel des origines des Tribunaux de Commerce
La disparition programmée des tribunaux de commerce est un regrettable effacement du passé.
On rappellera que la première juridiction consulaire a été créée à Lyon au XVème siècle : pour tenter d’échapper à la Justice cléricale, les commerçants préféraient trancher eux-mêmes leurs litiges simples.
L’aspect novateur de cette juridiction méritait d’être rappelé.
Chaque juridiction consulaire se composait d’un juge et de quatre consuls élus (d’où le nom de juridiction consulaire). Elle connaissait des litiges entre marchands puis également, à partir de 1715, des faillites et des « banqueroutes simples ».
Les Tribunaux de Commerce ont même survécu à la Révolution qui conserve le principe de ces juridictions, qui prennent alors, par la loi des 16 et 24 août 1790 le nom de Tribunaux de commerce, qu’elles ont gardé depuis.
Ils ne survivront pas aux coupes budgétaires imposées par Bercy.
B / Une réforme d’abord « expérimentale »
L’article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 a créé, à titre expérimental, des « tribunaux des activités économiques » (TAE).
Il était prévu que 12 tribunaux de commerce étaient choisis pour l’expérimentation au 1er janvier 2025 pour une durée de 4 ans. Selon l’article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 : « à titre expérimental, les compétences du tribunal de commerce sont étendues dans les conditions prévues au II du présent article. Dans le cadre de cette expérimentation, le tribunal de commerce est renommé tribunal des activités économiques ».
D’évidence, cette expérimentation n’était qu’un préalable d’une réforme déjà décidée.
Les 12 nouveaux TAE sont donc d’anciens tribunaux de commerce qui changent de nom et qui conservent toutes leurs anciennes compétences auxquelles sont rajoutées de nouvelles compétences retirées aux tribunaux judiciaires.
Ces nouvelles compétences sont les « procédures amiables et collectives » applicables aux agriculteurs et aux professionnels libéraux relevant des professions non juridiques et toutes les personnes morales de droit privé n’ayant ni la forme commerciale ni une activité commerciale ou artisanale.
Il s’agit donc de centraliser devant le TAE ce qu’il était convenu jusqu’alors d’appeler plus précisément les « procédures du Livre VI du code de commerce » ouvertes à l’égard de tous les professionnels indépendants personnes physiques (à savoir commerçants, artisans, agriculteurs, professionnels libéraux relevant des professions non juridiques) et de toutes les personnes morales de droit privé.
Malgré les annonces et les attentes mises dans la création de cette grande juridiction spécialisée en droit des affaires (au-delà du seul droit commercial), la réalité paraît décevante.
Pour compliquer la donne, on rappellera que le décret du 26 février 2016 avait créé 18 Tribunaux spécialisés pour les procédures collectives des grandes entreprises et que depuis 2009, 8 autres Tribunaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Rennes, Tourcoing, Nancy, Marseille, Fort de France) ont compétences exclusive pour connaître des litiges concernant les pratiques restrictives de concurrence…
On a donc actuellement :
– 200 Tribunaux de Commerce ;
– 12 TAE à compétence étendue ;
– 12 TAE et 6 Tribunaux de Commerce spécialisés pour procédure collectives des grandes entreprises…
Alors se pose la question de l’articulation avec les tribunaux de commerce spécialisés (TCS) pour les TAE qui ne sont pas TCS.
En revanche, les TAE ne deviennent pas compétents de manière étendue s’agissant du contentieux général mettant en cause les agriculteurs ou les professionnels libéraux.
Reste une petite incursion dans les baux commerciaux : les TAE sont compétents pour les actions et contestations relatives aux baux commerciaux qui sont nées de la procédure collective ou qui présentent « des liens de connexité » avec elle.
Ainsi cette incursion doit être strictement rattachée aux procédures collectives du livre VI.
Elle ne traduit donc pas un véritable transfert d’un bloc de compétence relatif aux baux depuis le tribunal judiciaire vers le TAE.
En outre, une partie de cette compétence transférée était déjà reconnue au « tribunal de la procédure collective » …
Dans le sillage de cette expérimentation qui créée un véritable puzzle procédural, il a été prévu le financement de cette nouvelle justice économique, alors que la justice commerciale rendue par les juges consulaires fonctionne jusqu’à présent de manière gratuite et désintéressée.
2. Création d’une contribution financière
La justice consulaire n’était pas gratuite, chaque formalité donnant lieu à des frais de greffe, mais somme toute peu onéreuse. Le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 pris en application de l’article 27 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 crée le principe d’une contribution financière afin d’assurer le financement de la justice économique.
Il est entré en vigueur le 1er janvier 2025 et s’applique aux instances introduites à compter de cette date devant les TAE qui sont constitués eux-mêmes à compter de cette même date.
Le décret instaure une contribution à régler lors de l’introduction d’instances devant le TAE.
Cette contribution est due pour toute introduction d’instance et est due au titre d’une demande initiale « lorsque la valeur totale des prétentions qui y sont contenues est supérieure à un montant de 50 000 euros ».
Les demandes incidentes formulées ultérieurement sont indifférentes ainsi que les demandes au titre des frais et des dépens.
Il s’agit tout de même d’une révolution en cette matière puisqu’il s’agit de faire payer au demandeur le coût de la procédure qu’il initie, alors que le plus souvent, il s’agit pour lui de demander paiement à son débiteur.
Si de nombreuses exceptions sont prévues, on ne peut que s’étonner de voir les justiciables amenés à financer au moins pour partie le coût du transfert de compétence des litiges qui relevaient auparavant des Tribunaux Judicaires.
Le montant de cette contribution est fixé selon un tableau donné à l’article 3 du décret basé sur un pourcentage du montant total des prétentions du demandeur (entre 1 et 5 % du montant total des prétentions du demandeur, en distinguant si c’est une personne morale selon son chiffre d’affaires et son bénéfice, ou une personne physique selon son revenu fiscal de référence).
Ce mode de calcul paraît tout à fait singulier et inutilement complexe.
Il est surtout contraire au principe d’égalité des justiciables devant la justice en raison des exclusions prévues et du barème applicable.
En outre, seuls les justiciables dépendant d’un des 12 TAE devront la verser, ce qui risque d’entraîner des stratégies d’évitement dans le cadre des clauses attributives de compétence territoriale, du moins tant que les TAE ou la contribution ne seront pas généralisés, éventualité qui n’est pas à exclure, à moins que le timbre fiscal ne fasse son retour pour les procédures de première instance…
Le versement de cette contribution est assuré entre les mains des greffes des tribunaux des affaires économiques (donc les greffiers des anciens tribunaux de commerce) qui, tous les 3 mois, reversent ces sommes « au budget général de l’État ».
Il apparaît donc que, contrairement aux annonces, ces sommes ne serviront pas à financer la justice commerciale qui est d’ailleurs rendue bénévolement mais bien à financer au moins en partie le transfert de compétence depuis les tribunaux judicaires.
Il ne peut être passé sous silence la sanction prévue en cas de non-règlement de cette contribution : l’irrecevabilité de la demande.
Elle est prononcée d’office, par la formation de jugement ou le juge chargé d’instruire l’affaire après avoir sollicité les observations du demandeur.
Cette mesure consistant à rendre la justice économique payante a fait l’objet de nombreuses critiques et réserves.
Le Conseil national des barreaux a adopté une résolution le 17 janvier 2025 contre cette contribution qui « suscite une vive opposition en raison de son impact sur l’égalité des justiciables, de son affectation budgétaire et de son entrée en vigueur précipitée ».
3. Les juges consulaires appelés à siéger en qualité d’assesseurs dans les Tribunaux Judiciaire
Preuve supplémentaire du désengagement progressif de l’Etat de la justice civile, le décret n° 2024-1224 du 30 décembre 2024 permet aux Présidents des Tribunaux Judiciaire de recourir aux juges commerciaux pour servir des assesseurs des tribunaux judiciaires spécialement désignés à l’article L. 211-16 du Code de l’organisation judiciaire.
Ce décret établit une sanction des juges consulaires qui refusent de siéger sans motif légitime, ce qui laisse perplexe lorsque l’on sait qu’il s’agit de bénévoles…
Manifestement, le recrutement de nouveaux magistrats professionnels n’est plus une priorité de l’Etat.
4. Transmission électronique des actes de procédure
Seul point relativement novateur et peu critiquable, l’arrêté du 14 janvier 2025 portant modification des arrêtés du 21 juin 2013 portant communication par voie électronique entre les avocats et entre les avocats et la juridiction dans les procédures devant les tribunaux de commerce vise à élargir aux avocats le champ d’application de l’arrêté du 9 février 2016 précité.
En d’autres termes, il modifie les systèmes de communications électroniques existant entre avocats devant les tribunaux de commerce (et les TAE) et entre avocats et tribunal devant lesdits tribunaux.
C’est une bien maigre avancée au regard de la voie financière adoptée par l’Exécutif qui invite chacun à s’inquiéter, en pensant également aux modes alternatifs de règlement des litiges qui ne cessent de s’étendre, au devenir de la justice civile qui risque à terme de devenir payante, pour une qualité de service moindre.
